Trajet Ngamba : Renaissance du commerce et des échanges congolais

Mon projet, Trajet Ngamba Éditions, s’inscrit dans une riche tradition de commerce et d’échanges portée par les premiers pionniers congolais en commerce postcoloniales. Ces derniers avaient établi des systèmes et des pratiques commerciales sophistiqués à travers l’actuelle République Démocratique du Congo. Ils ont non seulement revitalisé les routes commerciales précoloniales, comme la célèbre Route Nationale Numéro 1 (RN1), mais ont également développé un commerce international florissant. Ils commerçaient des produits tels que l’huile de palme, le café, le cacao, poisson, ainsi que des ressources stratégiques comme le cuivre, l’uranium, le cobalt, la bauxite, le lithium et le caoutchouc. Ce faisant, ils mettaient en avant les immenses ressources naturelles du pays, des nouveaux paradigmes  économiques, ainsi que le savoir-faire congolais. Une économie riche et équilibrée a ainsi vu le jour, valorisant à la fois l’héritage des logiques économiques de la reciprocité.

Bien qu’inventifs et déterminés à faire fonctionner ces nouvelles pratiques, ces pionniers n’ont pas assuré la durabilité de leurs initiatives, car ils ont négligé de transmettre leurs savoirs à la génération suivante. C’est pourquoi, à partir des années 2000, le commerce et les échanges ont progressivement glissé entre les mains de non-Congolais. Reprendre le contrôle intégral de ces activités est crucial pour notre société et notre économie.

Dans ce contexte, j’ai conçu le projet Trajet Ngamba pour explorer les notions de « logique et cartographie ».  Ainsi je cherche à comprendre les pratiques de ces pionniers et à les connecter à notre langage économique et artisanale congolaise. Je m’intéresse également à l’histoire de l’esclavage et du colonialisme, tout en cartographiant l’usage des anciennes routes commerciales précoloniales et les liens complexes avec la cartographie actuelle des espaces et structures commerciales régionales et internationales. Mon objectif est d’inventer une  mémoire de ces pionniers tout en créant de nouvelles connexions entre leur héritage, le présent et l’avenir de notre société et de notre économie. J’aspire aussi à intéresser une nouvelle génération de Congolais à ces pratiques.

Mon projet inclut des échanges avec des dignitaires ancestraux pour rétablir les pratiques commerciales congolaises, notamment des initiatives communes avec des chefs coutumiers à travers le pays. Je voudrais également inviter les jeunes Africains à assimiler ces systèmes commerciaux, aujourd’hui presque exclusivement dominés par des étrangers, qu’il s’agisse des anciennes puissances coloniales ou de nouveaux acteurs comme la Chine. Ainsi, Trajet Ngamba cible particulièrement les jeunes, en utilisant des technologies numériques novatrices telles que la réalité étendue (XR) pour les aider à comprendre et à s’approprier leur espace architectural et les enjeux urbanistique, tout en imaginant leur futur.

Un premier exemple est l’installation XR que j’ai présentée lors de la Biennale de Lubumbashi. Cette expérience immersive permet au public de visiter et d’explorer des architectures emblématiques de l’entreprise Gécamines, notamment son centre sportif, son environment comme le célèbre lac Lubumbashi. Gécamines illustre l’exploitation des ressources, telles que l’uranium, à l’époque coloniale, une période où les Congolais étaient exclus du commerce.

Trajet Ngamba Éditions : Nouvelles connexions internationales

Un aspect important de Trajet Ngamba est la création de nouvelles connexions avec d’autres régions d’Afrique et du monde, afin d’établir des échanges autour des pratiques commerciales et artisanales. Trajet Ngamba Éditions fait partie de cette ouverture internationale. J’ai noué des liens avec de grandes capitales comme Londres, New York ou Paris, ainsi qu’avec d’autres pays africains. Lors de ma résidence à Bandjoun Station, l’espace artistique de Barthélemy Toguo au Cameroun, j’ai imaginé une création inspirée de ces échanges : le Café Trajet Ngamba Édition. Ce café exclusif, disponible en 50 exemplaires, a été conçu en collaboration étroite avec des acteurs locaux, notamment les notables bamilékés.

Naissance de l’idée

Mon père était lui-même un pionnier du commerce congolais. À son décès en 1999, il n’avait laissé aucune instruction sur la manière de gérer son réseau complexe d’échanges et de commerce. La richesse qu’il avait créée a été perdue dans un enchevêtrement de constructions financières. J’ai constaté qu’il faisait partie de ces pionniers qui avaient négligé de transmettre leurs connaissances à la génération suivante.

J’ai donc commencé à analyser  leur histoire, en consultant des archives historiques (registres commerciaux, journaux, etc.) à travers le monde. Dans le cadre de ces recherches, je collabore actuellement avec le Musée International de l’Esclavage de Liverpool et Tate Modern à Liverpool, où je présenterai mon travail lors de la Biennale de Liverpool 2025.
En 2018, lors de mes investigations, j’ai découvert que l’artiste camerounais Barthélemy Toguo avait rencontré une situation similaire au Cameroun. Il a réagi en créant ses propres plantations de café et d’huile de palme, afin de redonner l’initiative aux producteurs et commerçants locaux, tout en contrebalançant l’influence des entreprises occidentales et chinoises, qui imposent leurs prix et leurs règles commerciales. Cette découverte m’a motivée à visiter son studio à Bandjoun.

Ngamba: Le nom comme analogie

De plus en plus d’Américains (es), parmi lesquels Naomi Campbell, viennent en Afrique pour retrouver leurs racines, parfois en utilisant des tests ADN pour identifier leurs ancêtres. Je me suis demandé pourquoi nous, Africains, ne pourrions pas nous aussi aller en Amérique pour y chercher des traces de nos ancêtres, dans un esprit de réciprocité des flux migratoires?

Cela pourrait être une manière pour les Congolais de reprendre le contrôle de leur héritage et de leurs liens avec leurs ancêtres déportés (es), tout en restant fermement ancrés dans le présent. Ce projet vise à apaiser les tensions entre un passé colonial et esclavagiste et une société congolaise contemporaine.

Enfin, j’ai constaté que mon nom de famille, Ngamba, symbolisait en quelque sorte les paradoxes que je souhaite aborder. En jargon congolais, “Ngamba” signifie esclave, mais dans d’autres langues, comme chez les Tshokwe, il signifie une femme qui se déplace vers un point plus élevé pour maitriser et conquérir, ainsi étendre l’espace,  comme ma mère me l’a expliqué.

Ngamba porte une autre signification selon ma grand-mère, qui est également mon homonyme : elle désigne une igname empoisonnée. Cette métaphore symbolise à la fois une existence complexe et un challenge, illustrant l’idée d’apprendre à apprivoiser ce qui semble toxique ou oppressant pour le transformer en une code source de puissance et d’opportunité.

Hadassa Ngamba